Benoit Mousserion

BENOÎT MOUSSERION

 

 

 

 

 

 

© MC Monin

Benoît Mousserion est directeur artistique de la compagnie l’Homme debout. Il aime écrire, dessiner et construire pour la rue, pour les places, pour la foule, il aime le mouvement, l’idée du mouvement, du geste le plus insignifiant aux grandes migrations qui modèlent notre monde, le mouvement des marionnettes que la compagnie l’Homme debout met en jeu, les années de travail pour le fluidifier, l’alléger, le comprendre, le chorégraphier, toutes les nouvelles recherches que la compagnie entame, il aime sentir qu’ils ne sont qu’au début d’une chose, il aime la lenteur, l’extrême lenteur, il aime travailler en équipe, la permanence, la difficulté à s’apprivoiser parfois, la confiance qui s’établit progressivement, les années de complicité, l’histoire collective qui s’écrit, il aime aussi collaborer avec de nouvelles personnes, ponctuellement, il aspire à le faire plus souvent, il aime les récits avec un début et une fin, raconter une histoire à plusieurs milliers de personnes en même temps, il a le trac, très fort avant chaque spectacle, il aime également les formes abstraites qui laissent une large part à la liberté d’interprétation, il aime le vent, mais il lui fait peur, il aime partager et faire partager des émotions, il aime les aventures humaines au long cours, percevoir la fierté dans le regard des participants, l’aboutissement du chemin, il aime ne pas savoir où il va, il n’aime pas se sentir perdu, il aime être transporté, il aime travailler à l’échelle d’un territoire, il y a quelque chose d’animal dans la notion de territoire, il aime inviter des personnes à imaginer des trucs avec lui, à construire ensemble, il se nourrit beaucoup de ces moments-là, il aime voir des gens œuvrer pour une chose commune, ça l’émeut, il aime bien être ému, ça l’anime, il aime le travail de la matière, la souplesse des brins d’osier, leur résistance, leur légèreté, jouer avec leurs courbes naturelles, il aime les paysages, il aimerait bien travailler plus souvent en relation avec les paysages, il aime être seul, mais pas trop longtemps, il aime l’idée qu’il ne racontent pas des histoires de géants, qu’il raconte des histoires d’êtres humains, des histoires d’aujourd’hui, que c’est l’effet du zoom qui rend les marionnettes de la compagnie aussi grandes, il a le vertige, la peur du vide.

La compagnie l’Homme debout est installée à Poitiers en région Nouvelle-Aquitaine. Depuis 10 ans, elle construit et anime des marionnettes géantes en osier qui deviennent les personnages de spectacles grand format évoquant des thèmes contemporains. La collaboration avec des personnes est au cœur de ses activités. La compagnie l’Homme debout présente ses spectacles en France, en Europe et sur d’autres continents.

Créations : environ 25 spectacles uniques issus d’aventures participatives (2012 à 2021), VÉNUS (2012), Mo et le ruban rouge (2019), Comme si personne ne regardait (laboratoire chorégraphique initié en 2021), Nos Cabanes (titre provisoire) (2023).

Questions-réponses avec Benoît Mousserion

> Être artiste associé au CNAREP Sur le Pont, ça veut dire quoi ?

Première réponse : j’ai la sensation, pour ma part, d’entretenir avec le CNAREP Sur Le Pont, une relation de compagnonnage, de confiance réciproque, d’écoute mutuelle, et ce depuis la création de la compagnie en 2011. J’aborde donc cette responsabilité d’artiste associé, comme une continuité heureuse du chemin déjà parcouru, et l’occasion d’enrichir encore notre relation. 

Deuxième réponse : « Mais je n’en sais rien moi ! » Plaisanterie mise à part, je veux dire que tout est à inventer non ? Bon d’accord pas tout. Il y a de mon côté, un projet de création en cours, à plusieurs facettes, que le CNAREP accompagne. Ce projet intègre déjà une présence au long cours (2021-2023) de la compagnie l’Homme debout sur deux quartiers prioritaires de La Rochelle. Nous réaliserons quatre périodes de résidence sur chacun de ces deux quartiers et impliquerons beaucoup beaucoup de personnes dans notre processus de création, puis dans le spectacle lui-même. Plus largement, le CNAREP accompagne ce même projet dans sa réalisation sur quatre autres territoires de la Nouvelle-Aquitaine. C’est donc une base sur laquelle nous entamons ces quatre années.

Ceci étant, j’espère que nous ouvrirons d’autres portes moins évidentes, plus secrètes. Lors d’un accueil d’une compagnie par un CNAREP, les rôles sont plutôt bien définis. Même si les arts dans l’espace public regorgent de projets aux multiples processus de construction, formats, adresses aux publics…, en caricaturant un peu, la compagnie vient travailler à son projet de création et le CNAREP met en œuvre les conditions nécessaires à l’accueil de ce projet. Chacun est à sa place. Je crois comprendre que nous avons tous envie, artistes associés et équipe du CNAREP, d’entretenir des relations différentes, plus nuancées, d’écarter quelques frontières, de nous déplacer, d’aller fureter les uns dans les univers des autres.

Troisième réponse : j’espère que ça veut dire qu’on va bien s’amuser ensemble, apporter une couleur particulière à ces quatre années, aux actions que mènent le CNAREP, aux événements Sur le Pont…

> Mais quatre ans, c’est long ?

HaHa ! Ça dépend ce qu’on y fait non ? Combien avons-nous tous vécu de moments intenses qui nous ont semblé si courts ? (violons)

Pour ma part, je travaille beaucoup sur des projets qui prennent du temps à être montés. Quand je pense à ces quatre prochaines années, et à cette relation nouvelle que nous entamons, je suis heureux de penser au projet de création de la compagnie en cours, qui s’épanouira en 2022 et 2023, et qui va nous solliciter pleinement. Le temps va filer. Mais je suis encore plus heureux de savoir qu’il restera encore deux années après.

Outre ce projet de création, nous menons une démarche de recherche au long cours, visant à chorégraphier nos marionnettes géantes, et plus globalement à rencontrer d’autres artistes autour de nos outils de travail (compositeur.rices, chorégraphes, vidéastes, plasticiens …). Je ne sais pas où cette recherche nous mènera, mais je me demande déjà comment nous pourrions la faire résonner à La Rochelle.

Et puis j’aimerais vraiment que nous trouvions le temps, encore une fois, de modifier le cadre habituel de nos relations entre équipe du Cnarep et équipes artistiques. Comment notre présence sur ces quatre années pourraient influer sur le travail (tout à fait remarquable, hahaha!) du Cnarep, la manière d’accueillir une compagnie, l’ambiance lors d’un événement, se projeter dans l’avenir, le nouveau lieu… ?

Enfin, il y a la rencontre entre nous quatre, et pour cela aussi il faut du temps. Mais c’est la question suivante.

> Et à quatre, ça donne quoi ?

Comme j’ai commencé à l’évoquer plus haut, notre compagnie a tout juste dix ans. Nous avons passé cette première période de notre existence à construire nos outils, à savoir comment nous voulions les utiliser dans l’espace public, à mieux les comprendre. Ce n’est pas terminé, mais nous progressons. Je me rends compte avec le recul, que malgré un mouvement permanent, et de nombreuses rencontres avec les habitants des territoires où nous avons travaillé, nous avons vécu artistiquement entre nous, concentrés sur notre projet et notre collectif. C’était sans doute ce dont nous avions besoin à ce moment-là. Ou plutôt je le reconnais : ce dont j’avais besoin, acquérir plus de confiance en notre travail avant de pouvoir nous ouvrir à d’autres.

Pour les dix années qui viennent, je souhaite à notre compagnie de nombreuses collaborations avec d’autres artistes. Je souhaite faire évoluer notre travail vers des endroits où nous ne pourrions pas aller seuls. Nous avons entamé ce processus, cette ouverture, et c’est pasionnant. Alors je me dis que j’ai beaucoup de chance d’avoir l’occasion de rencontrer plus précisément trois autres artistes. J’espère que nous aurons l’occasion de réaliser des choses ensemble, d’aborder des sujets ou des contraintes avec nos quatre univers bien distincts ; mais aussi, de les faire se rencontrer. Il faut du temps pour s’apprivoiser, nous avons quatre ans, c’est chouette !

> Dans le projet du CNAREP, qu’est-ce qui t’inspire ?

Sans hésiter, son attachement au déplacement, à la déambulation, au mouvement dans la ville. C’est un point important de mes recherches, et de mes questionnements. Comment réussir, pour une grande forme qui embarque plusieurs milliers de personnes, à raconter une histoire, à faire récit en mouvement sur un territoire ? Cette question m’anime.

Nos marionnettes ont été conçues pour se déplacer, c’est une de leurs principales raisons d’être. J’aime beaucoup les voir évoluer simplement, devant un paysage particulier. J’y perçois quelque chose de très émouvant. Leur silhouette qui se dessine, la fluidité de leurs mouvements, la juxtaposition des matériaux, la lenteur.

> Et l’espace public, en ce moment, ça t’évoque quoi ?

Depuis les attentats en 2015, les arts dans l’espace public subissent d’importantes contraintes et restrictions. Bien sûr la crise sanitaire actuelle ne fait que renforcer ces empêchements. Du festival de théâtre de rue, nous sommes passés au festival de cours et de jardins, au festival de barrières Vauban, au festival du contrôle à l’entrée.

Pour moi, l’espace public est l’espace de la démocratie. Lorsque l’on réduit l’espace public, on réduit l’espace démocratique.

Du côté de notre compagnie, qui propose des grands formats déambulatoires, nous vivons une période difficile du point de vue de la diffusion de nos spectacles. Certains nous conseillent d’adapter nos formats. Mais je ressens un enjeu important, aujourd’hui peut-être encore plus qu’avant, à proposer un grand format. Je veux affirmer notre besoin commun d’expression de nos libertés dans l’espace public. Je veux répondre au rétrécissement par un désir accru d’ouverture. Parce qu’il est bien question de cela : le rétrécissement des espaces collectifs de liberté accompagne, c’est évident, le rétrécissement des esprits.

> Si tu traversais La Rochelle… ?

J’adorerais ! Aussitôt je vois une de nos marionnettes marcher le long de l’océan face à un soleil couchant, au son mélodieux du chant des oiseaux. Hahaha ! Oui ce serait sûrement très joli, et pourquoi pas ! Mais je crois que je proposerais d’abord d’emprunter la rocade. Vous imaginez ?! Toute la ville bloquée ! Mais alors on y fait quoi ? On marche lentement, on accompagne un géant, on pique-nique, on fait du vélo. Non ce serait sûrement une fausse bonne idée. Je crois plutôt que j’aimerais vraiment traverser La Rochelle, passer dans tous les paysages qui la composent, les quartiers, les marais, le centre, l’océan, les ports, le marché,…
La traverser lentement, sur plusieurs jours, prendre le temps de la rencontre, jouer avec le rythme de la ville, sa géographie, inviter les gens à nous accompagner, prévoir l’accueil de la marionnette chaque soir, organiser un repas, une danse. Une traversée très simple, sans artifices, mais qui ferait certainement suite à un long travail de médiation dans chaque endroit où nous passerions. Parce qu’accompagner un géant ça se prépare. Je me poserais aussi la question de la trace. Quelle trace laissera cette traversée ?

> Qu’est-ce que tu prévois pour notre prochaine rencontre ?

Sincèrement je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir. Je ne sais pas si vous savez, mais on a monté un truc avec un Cnarep sur six terriotires de notre iiimmmmeennssse région, avec 24 périodes de résidences, des partenaires pluri-multiples, dans des zones urbaines et des territoires maxi-ruraux, tout ça pour aboutir à un spectacle sur 24 heures en 2023. Autant vous dire que nous ne chômons pas !

Sans blague, je crois que j’aimerais simplement prévoir une bonne bouffe, prendre le temps de se rencontrer, de se connaître un peu mieux les uns les autres, artistes associés, mais aussi toute l’équipe du Cnarep, échanger librement, imaginer des trucs ensemble, se faire rêver. Ça serait bien déjà. On pourrait chacun cuisiner un bon plat pour les autres.

Un truc pourrait être de réfléchir ensemble à inaugurer le prochain Fêtes le Pont par exemple, ou celui d’après en fonction de nos dispos. Ce serait drôle et concret. Ça poserait quelque chose, ça raconterait cette association qui commence.

> La question que tu aurais aimé qu’on te pose, sur cette association ?

Ça ne te gêne pas trop d’être artiste associé en ton nom alors que tu es toujours en train de nous bassiner avec l’esprit de compagnie ?