Le Tarot de la Nuit · Midi à l’Ouest © Mathieu Vouzelaud
Émilie olivier
Émilie Olivier est comédienne-clown. Elle s’est formée au jeu de l’acteur physique, à l’acrobatie, au boniment, au clown et à la danse butoh, en France et au Québec. Elle est titulaire d’un DEA en arts du spectacle, suivi à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Autodidacte à la croisée des disciplines, elle attache une grande importance à la recherche et à l’expérimentation. Par son travail de clown et son expérience du théâtre de rue (entresort forain, bal public, crieur, lecture déambulatoire, écriture de commande), elle développe une démarche autour de l’improvisation, du jeu longue durée et de la création in situ.
Émilie Olivier est interprète pour diverses compagnies (La piste à dansoire, ANPU)
En parallèle, elle a monté en 2015 sa propre compagnie, aujourd’hui installée en Charente-Maritime : la compagnie Midi à l’Ouest.
Ses thématiques de création personnelle impliquent souvent des rapports intimistes au public. Sans oublier la teneur poétique de la parole et du personnage sans laquelle la complexité des choses ne pourrait être évoquée… Aujourd’hui, elle collabore avec divers partenaires (associations, institutions, services culturels) à des projets où les notions de bouffon sacré ou d’entremetteur de propos placent l’artiste (via le personnage) au cœur des questions de la cité.
La compagnie se spécialise dans la création de performances, parcours, radio live artisanales, visites insolites écrites sur mesure (équipe d’accueil Esprit de la nature) avec temps d’immersion préalable.
Mais son projet phare s’articule autour du personnage Martine Tarot, voyante d’entresort (Martine Tarot de cuisine) devenue depuis peu Madame Soleil des villes et villages dans une création à part entière, oscillant entre récit tarologique, arts de rue et enquête de territoire (Martine Tarot, voyante des territoires, création 2020-21).
La compagnie est soutenue par les Fabriques RéUniEs, la DRAC Nouvelle-Aquitaine, l’OARA, le CNAREP Sur le Pont, la CDC Aunis-Atlantique.
Créations : K, Monologue clownesque d’après le Journal de Kafka (2011), Esprit de la nature (2013), Martine Tarot de cuisine (2013), Martine Tarot, voyante des territoires, prémices (2015), Martine, voyante des territoires (2019).
Questions-réponses avec Émilie Olivier
> Être artiste associée au CNAREP Sur le Pont, ça veut dire quoi ?
Déjà être artiste associée, c’est pour moi un peu différent que d’être compagnie associée. Je suis directrice artistique de la cie Midi à l’Ouest mais je suis aussi interprète pour d’autres compagnies, comme la Piste à Dansoire. Si avec Midi à l’Ouest, le travail s’articule autour de l’écriture in situ, du travail de collectage, du jeu de l’acteur physique et clownesque et de la philosophie à couleur populaire, avec la Piste à dansoire, j’explore la danse et le monde du bal de rue et l’interaction tchatche et musique. Je suis aussi une éclectique, j’aime le texte autant que le corps, l’expérimental autant que le théâtre populaire.
Donc, le CNAREP m’invite à collaborer avec lui pour tout ce que je suis. Et ça, c’est extra.
Ensuite, si on découpe l’expression, on lit le mot « associé ».
Comme j’aime retourner aux sens premiers, je suis allée fouiner dans le dictionnaire :
Empr. au lat. associare « joindre, unir » formé sur socius « compagnon »
« Associé.e » : personne qui est liée par des intérêts communs à une ou à plusieurs autres personnes, qui partage ses ou leurs activités au sein d’une association.
Former avec quelqu’un, une communauté d’intérêts, de sentiments, de travail.
Jusque là, je m’y retrouve. Avec le CNAREP, on partage le même goût pour le théâtre, pour la performance en espace public et « non dédié » -c’est-à-dire partout sauf dans une salle de spectacle-, en recoins, en géographie, ce que nous appelons la rue et qui est en fait le monde. Mais un monde où tout le monde peut se croiser sans barrière d’âge ou de classes sociales et où le quidam peut tomber sur nous, artistes saltimbanques. Comme ça, sans rien avoir demandé. Pour passer un moment, vivre une expérience, un truc vrai, sans écran, sans 4è mur.
La rue, comme on dit dans le jargon, c’est aussi l’esprit libertaire et rock n’roll, la bonne franquette, l’absence de chichis panpan, comme on dit à Marseille. Tu vas pas dans la rue, si t’aimes pas les gens de la rue. Il doit y rester un esprit de théâtre populaire, un mélange d’éducation populaire, de fête foraine et de carnaval, où l’hilarant côtoie le sérieux, le grotesque la délicatesse, où la surprise et l’improvisation sont prévues. Et où, bien sûr, le corps flirte avec l’esprit.
Associer une pers. à/avec une autre, c’est se prendre mutuellement pour alliés ou collaborateurs.
Associer quelqu’un à quelque chose (domaine matériel et moral), c’est le faire participer à.
Ça veut donc dire qu’on va faire des choses ensemble, qu’on va mener des actions en commun (du -cum latin, qui veut dire avec)
Et forcément, si on fait des choses ensemble, on va bien devoir accepter d’être imprégné, influencé par les autres à certains endroits. On va donc s’apprendre mutuellement en faisant. Pas en remplissant des pages de dossier, non non, en se retroussant les manches.
On va peut-être aussi errer ensemble. Ou se tromper, rater, faire flop.
Ou au contraire réussir, gagner l’adhésion, les hourras de la foule, mettre tout le monde de notre côté afin de, tout simplement, changer le monde.
Ou peut-être un peu des deux.
> Mais quatre ans, c’est long ?
J’ai envie d’être une artiste associée à la ville elle-même. La résidence artistique, c’est tout sauf un séjour en résidence secondaire dans un décor de carte postale.
4 ans, c’est donc le temps d’une exploration, d’un voyage au long cours je dirais. Qu’on planifie mais pas trop. On peut mettre des balises mais, surtout, ne pas tout organiser. J’ai envie de cheminer dans la ville, la rencontrer jusque dans ses franges, ses recoins. J’ai aussi envie que la ville elle-même me donne des idées.
Je n’habite pas la Rochelle, mais en 4 ans, il y a moyen que j’entre en complicité avec la ville et sa périphérie. J’aime bien le concept de « détourisme » : il ramène aux sources du voyage pur, avec ses rencontres, ses surprises, son rapport au quotidien, à la manière qu’on a de vivre localement. La Rochelle est une belle ville mais elle a aussi ses paradoxes et ses parties sombres. C’est ce qui est intéressant. De même, certaines de ses problématiques font d’elle un territoire à effet-loupe et donc ce qui la concerne, nous concerne tous. En cela, l’explorer, c’est explorer le monde.
C’est marrant, on dit d’ordinaire, qu’un cycle c’est 3, 5, 7 ou 10 ans. Jamais 4 ans.
4 ans, c’est pour moi, deux périodes de deux ans : l’une pour achever ce que je viens d’amorcer (le projet des Voyances de territoire), l’autre pour amorcer ce que je pourrais un jour achever (une potentielle nouvelle création).
> Et à quatre, ça donne quoi ?
Des rencontres de jokers !
On est 4 invités, 4 champions de l’espace public, on aime rencontrer et se faire rencontrer, on pourrait être 4 chambellans, 4 entremetteurs, 4 troublions, 4 chevaliers, 4 poètes, 4 différents avec des points communs, 4 coquins, 4 copains, qui font des trucs dans leur coin et des trucs en commun. Voilà, c’est comme une comptine.
> Dans le projet du CNAREP, qu’est-ce qui t’inspire ?
Beaucoup de choses.
Déjà, la relation de confiance que cela sous-entend. Le CNAREP me suit et soutient depuis longtemps, depuis l’époque où je créais dans mon garage, dans des squatts à Nantes ou dans les chapiteaux de mes collectifs de coeur, les Collectifs nantais Mobil Casbah et Quai des chaps.
Ensuite, l’idée du temps long et donc d’un projet transformable où tout n’est pas écrit d’avance. Il y a là à la fois le confort de la durée et l’inconfort de l’adaptation permanente. Donc un potentiel équilibre !
La présence de 3 autres compagnies est aussi quelque chose de génial : j’imagine me re-nourrir au contact des autres artistes, aller là où je ne serai pas allée seule.
J’aime aussi l’idée de travailler près de chez moi (j’habite Fontenay-le-Comte et ma compagnie est basée à Marans), de développer la création au local et de favoriser le maillage d’un réseau local. C’est extrêmement important à notre époque.
Sans compter que c’est écologiquement logique !
La région de la Rochelle et du Marais poitevin, auquel, quoiqu’elle en dise, elle est inextricablement liée, est une contrée riche et fragile qui mérite d’être alimentée par un bouillonnement culturel.
Autour de la Rochelle, il y a aussi des zones rurales ou périurbaines qui ont besoin de se dynamiser au contact d’artistes. Il faut à tout prix lutter contre l’effet territoire-dortoirs : chaque endroit doit véritablement être habité, c’est-à-dire vivant. La création artistique en espace public participe, j’en suis sûre, à créer de la vie et de la convivialité, de l’échange, du flux et de la réflexion de fond. Pour moi, l’artiste de rue a un rôle de bouffon sacré, c’est-à-dire qu’il peut mettre tout son savoir-faire, son humour, sa liberté de ton et son sens du lien social au service du débat public. Il peut participer à l’écriture d’un nouveau récit collectif, essentiel pour affronter l’avenir incertain avec une certaine foi et une certaine joie malgré tout.
Enfin, j’aime l’idée de développer des cartes blanches à La Rochelle en invitant des amis artistes qui jalonnent mon parcours depuis toujours. Je serai heureuse d’être à mon tour l’entremetteuse entre la ville et de super artistes et chercheurs d’autres régions, mais qui travaillent toujours sur la ville, le territoire, la marche, l’exploration…
> Et l’espace public, en ce moment, ça t’évoque quoi ?
Un paradis paradoxal en danger de mort sociale.
Cette expression « espace public », est encore une fois très souvent galvaudée. Je suis donc encore une fois retournée voir son origine.
L’espace public, ce sont les « voies de communication » avec le double sens de communication : les ponts, routes, places (la voirie) et les canaux de discussion.
L’espace public est donc un lieu de vie essentiel de la cité. Les actions, les activités, les paroles, les imaginaires et les cultures de tout à chacun s’y côtoient (ou devraient s’y côtoyer). L’intime, le privé y flirtent avec le collectif. C’est l’espace commun où l’on peut partager nos différences.
Thierry Paquot, un philosophe de la ville dont les ouvrages traversent mes projets, dit : « Le commun n’est pas juste ce que l’on partage. C’est ce qui engage les uns envers les autres ». L’espace public est très important pour la démocratie. C’est un espace de pure relation, pas simplement l’outil de gestion d’un flux de personnes.
La situation d’urgence sanitaire tend à fermer l’espace public, qui est ouvert par définition. C’est grave. C’est dangereux.
J’ajouterais que comme à La Rochelle, la tendance est de vivre en vase clos et en quartier, soigner son espace public, l’entretenir pour que les gens s’entretiennent, semble donc tout indiqué.
D’autant plus en période de pandémie ou de post-pandémie où confinements, interdictions, peur de l’autre se sont enchaînés, empirant un recroquevillement sur soi déjà bien ancré dans nos sociétés individualistes.
Je ne vois pas l’avenir sans la solidarité et l’échange collectif : ils sont nos seules armes contre l’effondrement qui vient.
> Si tu traversais La Rochelle… ?
Mais oui ! En partant de l’Escale des Marins, j’irai de la Pallice à la Pointe de Roux pour un déjeuner au restaurant la Gaîté, chez feu Paul Le Meur dit le Corsaire et sa femme Yvonne, dit mon Canard. Je passerai par les toits de Mireuil à la vue imprenable, par le marchand de glaces ambulant de Port-neuf ou par le PMU du Stade rochelais. Je traverserai le musée à ciel ouvert qu’est le centre ville, les arrières de la gare et le marais de Tasdon, dont on m’a dit qu’il était habité par les fantômes des morts à la guerre, durant les sièges de la Rochelle. Tout ça en réfléchissant au littoral comme dernière frontière et au marais comme espace-tampon, zone de tempérance et de résilience.
> Qu’est-ce que tu prévois pour notre prochaine rencontre ?
De prendre les transports en commun pour venir de chez moi à Fontenay-le-Comte jusqu’à La Rochelle à 50 km. Ça va être un peu comme un voyage là aussi. Ou une expérience de gilet jaune.
Nous devrions être reliés – le Marais poitevin nous relie – Fontenay et La Rochelle en sont deux portes et pourtant, nous sommes loin.
C’est une réalité socio-économico-politique mais une aberration géographique. Là se trouve la logique territoriale qu’il faut détricoter pour tout remailler.
Je prévois aussi de prendre quelques bouquins de chevet et un panier garni pour les partager avec mes nouveaux copains et lancer notre association sous les meilleures augures.