Notre futur ~ Gildas Puget ~

À quelques centaines de mètres derrière ma maison commence un bois, qui s’enfonce loin dans la campagne.

C’est un grand bois peu entretenu, où l’on pénètre par des chemins terreux qui serpentent en grimpant. À mesure que l’on s’y enfonce, on découvre de vieux chênes agriffés aux talus, encordelant des terriers sous leurs racines, nombre d’arbres colossaux qui, effondrés, pourrissent sur place machonnés par la mousse.

J’y ai trouvé des chemins creux débouchant sur d’antiques ruines effritées par les plantes rampantes, des combes profondes aux parois verticales, anciennes carrières d’où montent des lierres gros comme des arbres.

Et merveille des merveilles, il existe, au fin fond du bois, sans qu’aucun sentier y mène, une toute petite clairière herbeuse, formant un cercle approximatif. C’est là que je me suis assis pour penser au futur.

C’est qu’il y a des questions que l’on doit se poser au bon endroit. Partant du fait que corps et esprit sont liés, lorsque j’ai un sujet de réflexion important à creuser, je commence par me déplacer chez moi au hasard, en me demandant où il faudrait que je me place pour mieux y réfléchir. La douche n’est pas propice aux mêmes pensées que le dur tabouret de bois du salon, et j’ai trouvé adossé au frigo mes idées les plus rigolotes. Mais concernant le futur, rien ne venait.

J’ai chaussé mes godasses de rando, et gagné la clairière du bois de derrière.

 

 

Assis là, j’ai rassemblé mes premières pensées, ces sombres images que l’on ressasse incessamment à nos oreilles surinformées. Je portais encore sur le dos cette dystopie catastrophiste qui est devenue l’horizon commun. Effondrement écologique, extinction de masse, obscénité politique, violence de classe.

Mais au calme de ma cachette sylvestre, j’admirais le bleu séculaire des jacinthes des bois qui m’entouraient. Touchant du bout des doigts des herbes basses aux larges feuilles duveteuses, dans le bourdonnement des insectes, le cynisme me parut anecdotique. Ce qui me frappait c’est que j’étais dans un lieu de beauté crue, et d’équilibre, la question restait suspendue…

Au fond, de quoi la nature est-elle faite ?

D’une bataille éperdue pour la survie, d’un combat opposant les espèces, d’une lutte de chaque plante pour prédominer ?

Ou d’une magistrale coopération créant un système équilibré qui permet, depuis des temps immémoriaux, d’assurer les conditions de la vie ?…

Et nous ? Le futur sera ce que nous en ferons, mais qui sommes-nous ?

La coopération est le fondement de la culture humaine. Nous sommes ce que nous sommes parce que nous n’avons cessé de coopérer depuis des dizaines de millénaires. Sciences, artisanat, agriculture, l’aventure humaine est une histoire de partage, l’humanité est une histoire de don.

Et il faut admettre que l’humanité progresse.

Il y a aujourd’hui factuellement moins de conflits armés, moins de barbarie entre les peuples sur cette planète que jadis. L’espérance de vie s’est allongée pour la majorité d’entre nous.

L’intelligence s’est développée, le génie technique aussi, mais pas seulement, les idées humanistes ont infusé dans le monde, et rien n’est plus contagieux qu’une idée.

Aujourd’hui, l’impartialité de la justice, la place des femmes dans la société, le regard sur l’esclavage, la pensée écologique, la place des animaux et la considération de l’interdépendance entre espèces se développent sur la planète.

Rien n’est écrit d’avance, mais tout porte à croire que nous continuerons à progresser.

Je me suis levé sans déranger les arbres, et j’ai repris mon chemin en ayant une pensée de compassion pour le malheur, l’horreur et l’effroi.

Retrouvant le sentier, j’ai respiré un grand coup, un grand coup de l’air pur, sain, et bon de ce bois tout autour, j’ai pensé à ceux que j’aime, avant de réaliser que j’aimais, au bout du compte, tout le monde.

Et je me suis promis de faire de mon mieux.

J’ai plein d’espoir en l’avenir.

Gildas Puget

Qualité Street (Rennes – 35)
Qualité Street est une compagnie créée en 1999. Après le succès de ses duos comiques tout public, son exigence se confirme aujourd’hui par des solos axés sur l’humour, l’écriture et le jeu de comédien. Sa singularité et l’éclectisme de ses créations nous réservent sans doute bien des surprises.