Nuées d’artistes ~ Louise Faure – Cie Avis de Tempête ~

© Marie Monteiro
 
J’ai mal aux mains, aux pieds et j’ai des courbatures partout, mais que ça fait du bien. Deux jours sur ma corde, ne plus s’arrêter. Posée, confinée dans mon triangle je me suis réconciliée avec les hauteurs. J’étais une circassienne en reprise d’activité progressive après un congé maternité, et un confinement forcé ! Alors oui, ça fait du bien !
J’ai déroulé et dégourdi le corps et le regard. J’étais juste là, simplement, sincèrement, nous avions pris la place, moi, ma corde et mon tripode. Je me suis installée sur un lieu de passage. J’ai chamboulé les habitudes de déplacements des habitants. « Par où vais-je passer maintenant ? il y a un gros truc qui bouche le passage !… » Alors, on lève les yeux, et je suis là. Des rencontres individuelles avec les gens, exclusives, sidérantes, tendres, les yeux dans les yeux.
Un grand gros black est passé en bougonnant, les épaules rentrées, et il a ralenti, et s’est caché derrière le coin de rue pour me regarder sans être vue.
Une femme boiteuse, m’observait de loin, puis elle s’est rapprochée, puis un peu plus, puis beaucoup plus, puis elle a voulu discuter, elle était émue et m’a remerciée d’être venue me planter en bas de chez elle.
Un monsieur triste revient de faire ses courses, il est sur le trottoir en face, de l’autre côté de la rue. Il tourne la tête et s’arrête net. Bouche bée. Il ne bouge plus. Je le regarde, perchée. On se regarde. Je continue de ronronner sur ma corde mais je ne le quitte pas des yeux. Il ne bouge plus. Bouche bée. Les bras tenants ses lourds sacs de courses. Je lui souris, il me réponds. Je descends de quelques mètres, il doit me perdre de vue. Je remonte, il est parti.
Une femme voilée seule sur un banc m’observe de loin depuis un très long moment…
Un homme et sa fille dans une camionnette passent, et repassent et re-re-passent. Il viennent finalement se garer à côté de moi et nous profitons de ce moment suspendu ensemble.
Cela prend du temps d’oser la rencontre. Il faut du temps et oser lever les yeux, mais ce n’est pas si facile.
Merci à ceux qui ont pénétré ce triangle, et qui ont partagé avec moi leurs univers, leurs mots, leurs musiques, leurs humeurs en toute générosité.
Je serai heureuse de vous revoir tous, à bientôt dans la rue, sous un chapiteau (ou autour), sous la pluie, ou dans un bar (en effet !)
 
Louise Faure – Cie Avis de Tempête